Arthur Ménard-Salis    
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Hoorhreyillnoäth


Projet de village utopique en collaboration avec Jeanne Gilbert, 2017-2018 (inachevé)

Hoorhreyillnoät est un village fictif qui prétend libérer ses citoyens de toute forme d’assignation en les nommant de manière aléatoire, à partir d’un “Jeu à nommer” historique dont la première version a été créée par Lu Fondatron, personnage neutre, en tirant au hasard des balles en tissu qu’il avait lui même conçues selon un processus complexe. Le nom du village est une transcription simplifiée du nom qu’il se serait donné avec cette méthode. Les paysages du village sont également générés de manière aléatoire. 

Le projet se déploie à travers de fausses pièces d’archives. Le texte introductif explore également la possibilité d’une écriture non-genrée.



   
    Portrait de Lu Fondatron, Tirage argentique, 2018


   
    Jeu à nommer contemporain (extrait),  45 dés en bois verni de 40mm de côté, 2018


   
    La Première lettre, Chutes de tissu et ouate, 2017
    Rodolphe Pagure, Lignes et figures d’Hoorhreyillnoät (extrait, 2017)

    Jusqu’à un temps assez récent, peu de recherches s’étaient penchées sur les origines et rites hérités du village d’Hoorhreyillnoäth. Pourtant, cette microsociété nichée entre deux blocs pavillonnaires en périphérie de l’Acapitale offre un modèle qui aura éveillé, et éveille encore aujourd’hui bien des passions.
    Le micromonde de H. tire son nom d’une démarche aléatoire. Le recoupement de quelques fragments fondateurs, attribués al fondatron lui-même, permet d’y voir un peu plus clair dans le pourquoicomment de cette dénomination, a priori détachée des associations de syllabes habituelles de notre langue, mais également à propos des actes de baptêmes tels qu’ils sont à présent établis dans le village.    
    
    Le monde partit d’un être sans nom. Parce qu’ille avait enterré l’ancien lus pour une raison hixigraique, voilà que notre fondatron se trouva dépourvu de patronyme. Ille vécut alors la panique sans fond du sujet innappelable — à moins de tirer le cadavre de son autrefois à chaque tentative d’apostrophe.   Seulement, alors qu’ille venait de s’affranchir d’une énième assignation, comment pourrait-ille s’appeler sans pour autant se jeter à corps perdu dans une nouvelle case ? Comment, à partir d’une langue finie, déterminée, se baptiser en individu nouveau ? Sachant que, dans l’urgence, il lui serait bien difficile de refonder un alphabet. D’autant plus qu’ille aurait dû mobiliser une quantité non-négligeable de ressources linguistiques pour en rester toutefois intelligible, car le risque aurait été de créer une langue qu’ellui seul aurait pu comprendre, et lu fondatron ne souhaitait pas quitter le champ social : il lui fallait être compris.    
    Lu Fondatron, dans la hâte de se nommer, dut donc trouver un système efficace qui lui permettrait à la fois d’atteindre le momajuscule par lequel se désigner dans les plus brefs délais, tout en y attachant le moins possible de marques langagières liées aux assignations et/ou oppressions propres à son espace-temps. Ille s’attacha donc à créer un dispositif d’association de consonnes, voyelles, syllabes, partant d’abord de la lettre sans en privilégier aucune. Ille se basa ainsi sur notre alphabet latin de vingt-six lettres en ignorant délibérément les variations d’occurrence de chaque lettre. En ce sens, le W aurait autant de place que le E, le A ou le P.
    Pour mettre en place son jeu à nommer, lu Fondatron procéda selon le protocole suivant : ille s’empara tout d’abord de deux feuilles aqatre qu’il divisa en petits carrés de côtés égaux[1]. Ille inscrit alors, dans chacune des cases tracées, autant de fois chaque lettre de l’alphabet, contrains par le format des deux feuilles dont ille avait à se contenter, de sorte à pouvoir plier chaque carré en deux une fois découpé. Ille prévit également autant de cases de vide que de chaque lettre. Quand ille eut achevé de préparer ces étiquettes, ille glissa toute la pile de lettres dans un petit sac de toile rayée qu’ille savait traîner au fond de sa commode. L’individu encore sans nom referma ensuite le sac en tirant le cordon à son extrémité et le secoua sous forme de retournements quatrevindidegrés en un mouvement d’épaule régulier, tout en sautillant sur un rythme plus rapide à une fréquence de quinze secondes par minute, tout le temps de cuisson d’une portion de pâtes de forme longiligne.
    Le secouement achevé, lu Fondatron rouvrit le sac pour en jeter vivement le contenu à terre. Les morceaux de papiers pliés, égaux, se répandirent alors sur le parquet, lui-même encadré d’un tapis et d’un pied de table. Lu Fondatron se plaça auprès de la table, car, s’ille avait juste pioché aléatoirement dans le petit tas de microlettres réparties sur le sol, ille serait déjà trop intervenu dans son processus de nomination.    
    Le premier moment du protocole d’élaboration du jeu à nommer peut se résumer en quelques étapes :
    1. Sur le sol, de préférence marqué (parquet, carrelage), où se sont répandues les lettres, définir le périmètre du dehors et du dedans à partir du mobilier. Le premier pied de meuble qui se présentera sur l’espace vierge de sol constituera une frontière. Toutes les lettres qui auront atterri au-delà de ces frontières seront ignorées.
    2. Dans le périmètre, choisir un point de départ. Si la zone n’est pas carrée, préférer une disposition parallèle à l’un des bords courts de la zone. Le point de départ sera déterminant pour la progression d’assemblage du jeu.
    3. Une fois positionné sur la ligne de départ définie sur la zone, commencer à piocher les lettres selon le protocole qui suit :
        a. Avancer jusqu’à la seconde ligne de parquet ou de carrelage, puis piocher le papier le plus proche et le garder dans la main. Répéter l’opération cinq fois. Si vous dépassez le périmètre défini par le mobilier, faire demi-tour. Vous devrez donc avoir cinq petits papiers dans la main.          b. Retourner à la ligne de départ, puis répéter l’opération en piochant cette fois-ci deux papiers à chaque fois. Vous devrez terminer avec dix papiers dans la main.
        c. Reproduire l’opération selon les mêmes principes, en piochant cette fois ci trois papiers par passage, puis quatre, puis cinq. Vous devez normalement terminer avec un total de quatre-vingts papiers pliés, répartis dans cinq piles distinctes.

    À partir de ces cinq tas, lu Fondatron fit cinq lignes horizontales sur une table. Le système prendrait bientôt forme.
    Dans la première ligne de cinq, lu Fondatron saisit le papier du milieu, puis compta jusqu’à cinq à partir de son voisin de droite pour prélever une seconde lettre. Il obtint alors une première syllabe, et en composa une seconde avec les trois papiers restants, peu importe s’il devait provoquer une cohabitation hasardeuse et quasi-impronçable de consonnes inhabituelles. Il appliqua un système de calcul similaire aux piles de dix, de quinze, de vingt et de vingt-cinq, en l’adaptant certainement au nombre de papiers de chaque pile. Néanmoins, la suite de sa pioche demeure peu documentée et nous ne pouvons qu’extrapoler sur le geste qu’il pratiqua. Notre seule certitude, à partir du jeu à nommer en vigueur au village de H., est qu’il composa des syllabes de trois et de deux lettres. La présence de cases blanches dans les piles garantit également la possibilité de trouver une lettre seule.    Ille indexa alors chaque association de lettres sur un petit carnet en tenant compte de leur pile d’origine et s’attela à fabriquer l’objet final de sa nomination. Parce que le temps courait et que notre sujet n’avait toujours pas de nom, le seul matériau dont il pouvait disposer se trouvait juste autour de lui : tasseaux, vêtements, gomme, billes, rondelles métalliques… Quel serait l’objet idéal pour garantir une composition de syllabes la plus aléatoire possible, sans qu’ille puisse tricher en ayant mémorisé la forme de tel ou tel signe ? S’ille allait vers des objets trop disparates, lu Fondatron courait le risque, à nouveau, d’accorder plus d’importance à des sons et graphies qu’à d’autres. Les différents objets devaient donc être de poids similaires et de textures aussi douces les unes que les autres, qu’ille ne soit pas tenté de ne se saisir que des matériaux agréables lors de sa pioche.
    C’est pourquoi après de nombreuses découpes manuelles, ponçages et tentative de gravures, notre Fondatron, qui n’était pas menuisier, abandonna l’idée de petits cubes de bois irréguliers découpés dans une chute abandonnée dans un coin de sa chambre. La révélation lui vint lorsque son regard se posa à nouveau sur le petit sac en toile rayé abandonné sur la table de salle à manger après l’avoir vidé sur le parquet. Imparfaites, légères, douces, aisées à manipuler et/ou à jeter : des balles en tissu. Ille pensa certes à ce sachet déterré du fond de sa commode, mais également à tous ces bouts de toiles qu’ille ne portait plus car trop usés et multiréparés. Car, bien que lu Fondatron ne fut par couturies, ille avait pris pour habitude de rafistoler ses belles toiles-à-vêtir d’adolescence quand celles-ci venaient à se rapiécer, par des coutures certes maladroites et des motifs tout à fait disparates, mais émouvants.

[1] De nombreuxe humanologistes mathématistes ont tenté de calculer le nombre exact de carrés découpés par lu Fondatron, postulant sur le côté minimum que l’on pourrait donner à ces carrés pour pouvoir les plier au moins une fois, selon les différents grammages de papiers qui auraient pu être à disposition del Fondatron. Toutefois, ces chiffres restent tout à fait hypothétiques, puisqu’aucune miette de papier qui aurait pu porter les signes de ce premier jeu n’a été véritablement authentifiée.   


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